HABITER UNE OEUVRE

L’ESTUAIRE, LA TERRE DU MILIEU ET LE JARDIN ÉTOILÉ

Ses voisins sont étonnants. Trace d’un ancien quai, barbelé à droite, un début de cimetière à bateaux à gauche, dont un vieux scaphandrier et sur l’arrière, le café de l’avenir avec sa pelouse synthétique en fronton et son vélo suspendu en enseigne. Loin des façades de ces riches maisons bourgeoises qui ont accueilli nombre d’armateurs aux heures de gloire de Paimbœuf, Napoléon en tête. Mais ici, plus rien n’est pareil, les jalons se brouillent, les neurones s’entrechoquent jusqu’à y distinguer un site vikingno-madmaxien-briéron.

 

 

Car franchir l’arche d’entrée, c’est laisser sa réalité pour s’offrir à son imagination.
Les habitants ailés des lieux, partagent leur milieu avec toutes sortes d’occupants. Ceux qui y viennent par hasard, au détour d’une route et voyant se dresser un enchevêtrement de matériaux à priori hétéroclites qui attirent leur curiosité. Ceux qui y viennent pour étudier et admirer l’œuvre de l’architecte-paysagiste Kinya Maryama dans le cadre du parcours Estuaire. Et ceux qui, comme les Maquis’Art, sont venus pour y habiter le temps d’une journée. Voir la Loire par l’une de ses plus belles fenêtres. Manger une fondue bourguignonne, changer de points de vue et ressentir le lieu aux mille pièces.

 

 

 

LA GRANDE OURSE DU JARDIN ÉTOILÉ, N’EST PAS VISIBLE

Une architecture du vide, loin d’être seulement minimaliste, plutôt prolifique qui a évolué avec le temps pour faire perdurer une œuvre à l’origine éphémère. Terre, roseau, bois, acier d’échafaudage, quelques bétons dégrossis comme une sculpture, des dômes comme une amorce de maison bulle de Pierre Cardin revu par un œil de l’hémisphère sud. L’œuvre vient rompre avec une certaine forme de géométries droites, lignes clairs, Bauhaus pour aller chercher la nature, comme une passerelle. Un certain rapport à l’industrie, de ce qui est façonné par l’homme, en conflit ou en symbiose avec la nature. Dans un cas se distingue au point de ne voir que l’apport du travail et dans l’autre cas, se fond par mimétisme proche de l’animisme.

 

 

Ici La nature est l’œuvre. Et l’architecture l’écrin. Une inversion des codes. Ici la seule norme c’est la gravité, et encore. Ici l’on joue avec les courants d’air, les ombres et l’abstraction. Ici, c’est un repère de brigand-poète, pour s’y cacher, pour y rêver à d’autres horizons.

 

 

Une vigie pour ce port qui a construit le célèbre navire La Méduse. Alors forcément au moment de repartir, au moment de refermer une porte invisible, les questions se prolongent. Le temps fera-t-il de cette œuvre un radeau de survie de cette diversité d’architecture intercontinentale ? Un jardin étiolé, à terme peut-être, mais la magie perdurera-t-elle dans la mixité des regards ? Reviendrons-nous parcourir seul ces travées d’émotions, en ermite ou y retournerons-nous pour emmener d’autres êtres chers hypnotisés à leur tour ?

 

Car après tout, avons-nous réellement habité une œuvre ou est-ce que c’est l’œuvre qui nous a habitée ?

 

 

 

 

© Photographie: Emmanuel Naffrechoux

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