L’intelligence artificielle (IA) est sans doute l’une des avancées technologiques les plus impressionnantes du XXIe siècle. Elle a transformé de nombreux secteurs, de la santé à l’automobile, en passant par les finances et l’éducation. Cependant, derrière cette façade de progrès se cache une réalité bien plus sombre : l’impact environnemental de cette technologie est colossal. L’IA, bien qu’elle promette de révolutionner notre quotidien, contribue de manière massive au dérèglement climatique et à la dégradation de notre écosystème.
CONTEXTE
Depuis quelques décennies, le monde est confronté à une crise climatique sans précédent. Les émissions de gaz à effet de serre ont atteint des niveaux alarmants, causant une augmentation globale des températures, des phénomènes météorologiques extrêmes et une montée des eaux. Cette situation est aggravée par l’exploitation intensive des ressources naturelles et par la consommation énergétique croissante. Dans ce contexte, les technologies numériques, et particulièrement l’IA, jouent un rôle paradoxal : elles offrent des solutions pour améliorer l’efficacité énergétique et réduire les émissions, tout en étant elles-mêmes énergivores. Et pas qu’un peu.
Le changement climatique est l’un des défis les plus (o)pressants de notre époque. Il résulte principalement de l’accumulation de gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone (CO2), ou du Méthane (CH4) dans l’atmosphère. Ces gaz sont libérés par la combustion de combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel), la déforestation et diverses activités industrielles. Les conséquences de cette accumulation sont multiples : réchauffement global, acidification des océans, perte de biodiversité, et augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles.
L’IMPACT DE L’IA
L’IA repose sur des infrastructures numériques complexes et gourmandes en énergie. Le développement, l’entraînement et le déploiement de modèles d’IA nécessitent des centres de données (datacenters) qui consomment d’énormes quantités d’électricité. Ces centres de données sont souvent alimentés par des sources d’énergie souvent non renouvelables, contribuant ainsi aux émissions de CO2.
La consommation énergétique des centres de données
Les centres de données sont au cœur de l’infrastructure de l’IA. Ils hébergent les serveurs nécessaires au stockage et au traitement des données. Selon une étude de Nature, les centres de données consomment environ 200 térawattheures (TWh) d’électricité par an, soit environ 1% de la demande mondiale en électricité. Cette consommation est en constante augmentation en raison de la croissance exponentielle des données et des besoins en calculs intensifs pour l’entraînement des modèles d’IA.
Les émissions de CO²
La production d’électricité, en particulier à partir de combustibles fossiles, est une source majeure d’émissions de CO2. Par conséquent, la consommation énergétique des centres de données entraîne indirectement des émissions significatives de gaz à effet de serre. En 2018, les centres de données étaient responsables d’environ 0,3% des émissions mondiales de CO2, soit environ 100 millions de tonnes de CO2. À titre de comparaison, cela équivaut aux émissions annuelles de 21 millions de voitures.
L’entraînement des modèles d’IA
L’entraînement des modèles d’IA, en particulier ceux basés sur l’apprentissage profond (Deep Learning), est extrêmement énergivore. L’entraînement de ces modèles nécessite des semaines, voire des mois de calculs intensifs sur des clusters de GPU (Graphics Processing Units) qui sont parmi les composants les plus énergivores.
La fabrication des matériels informatiques
La fabrication des matériels informatiques utilisés pour l’IA a également un impact environnemental important. La production de semi-conducteurs, composants essentiels des puces informatiques, nécessite des procédés industriels complexes et polluants. De plus, l’extraction des métaux rares utilisés dans ces composants contribue à la dégradation de l’environnement et à des émissions supplémentaires de CO2.
DE QUOI ON PARLE ?
Pour illustrer l’impact environnemental de l’IA, examinons quelques exemples concrets et chiffrés.
GPT-3 et les émissions de CO²
GPT-3, développé par OpenAI, est l’un des modèles de traitement du langage naturel les plus avancés à ce jour. Son entraînement a nécessité des milliers de GPU pendant des semaines. Selon une estimation, l’entraînement de GPT-3 a émis environ 552 tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles de 110 voitures ou bien 205 vols aller-retour entre Paris et New-York.
Les centres de données de Google
Google, l’un des plus grands acteurs de l’IA, exploite des centres de données dans le monde entier. En 2019, la consommation énergétique de Google a atteint 12,4 TWh, soit l’équivalent de la consommation électrique annuelle de l’ensemble de San Francisco. Bien que Google s’efforce d’utiliser des sources d’énergie renouvelables, une part significative de cette énergie provient encore de combustibles fossiles.
La blockchain et l’IA
La blockchain, souvent utilisée en conjonction avec l’IA pour des applications comme les smart contracts et la vérification d’identité, est également très énergivore. Par exemple, le réseau Bitcoin consomme approximativement 121,36 TWh par an, ce qui est comparable à la consommation énergétique de pays comme l’Argentine. Cette consommation d’énergie entraîne des émissions de CO2 estimées à 57 millions de tonnes par an.
ON FAIT QUOI MAINTENANT ?
Pour atténuer l’impact environnemental de l’IA, plusieurs solutions et alternatives peuvent être envisagées.
Optimisation des modèles d’IA
L’optimisation des modèles d’IA pour réduire leur consommation énergétique est une piste prometteuse. Des techniques comme la quantification des modèles, la compression et l’utilisation de réseaux de neurones plus petits peuvent réduire la complexité des calculs nécessaires à l’entraînement et à l’inférence des modèles.
Utilisation d’énergies renouvelables
L’alimentation des centres de données par des sources d’énergie renouvelables est une étape cruciale pour réduire les émissions de CO2. Des entreprises comme Google et Microsoft investissent massivement dans l’énergie solaire et éolienne pour alimenter leurs infrastructures. Cependant, l’intermittence de ces sources d’énergie pose encore des défis techniques.
Datacenters écologiques
Le développement de centres de données écologiques, utilisant des technologies de refroidissement innovantes et situées dans des régions au climat favorable, peut également contribuer à réduire l’empreinte carbone des infrastructures de l’IA. Par exemple, certains centres de données sont construits dans des régions nordiques pour tirer parti des températures froides et réduire les besoins en climatisation.
Réglementation et politiques publiques
Les gouvernements et les organisations internationales doivent par ailleurs jouer un rôle dans la régulation de l’impact environnemental de l’IA. La mise en place de normes en matière d’efficacité énergétique et d’émissions de CO2 pour les centres de données et les entreprises technologiques peut encourager l’adoption de pratiques plus durables.
CONCLUSION
L’intelligence artificielle, malgré ses promesses de transformation et d’amélioration de nombreux aspects de la vie humaine, représente un défi majeur pour la durabilité environnementale. La consommation énergétique et les émissions de CO2 associées à ses infrastructures et à ses processus d’entraînement de modèles posent des questions cruciales sur l’équilibre entre progrès technologique et protection de notre planète. Face à ce constat, il est impératif de développer et d’adopter des solutions innovantes et durables pour minimiser l’impact écologique de cette révolution technologique. Le futur de l’IA doit être envisagé non seulement en termes de performance et d’innovation, mais aussi en termes de responsabilité environnementale et de durabilité.
En tout état de cause, le cycle d’innovation du domaine de l’IA n’a pas son pareil. Là où des années sont nécessaires pour passer d’une rupture technologique à une autre dans n’importe quel domaine, dans l’IA, le cycle est de l’ordre du mois, voire de la semaine. C’est stupéfiant.
Et effrayant.
Nous sommes aujourd’hui face à un défi sociétale majeur, entre les utilisateurs, les décideurs et les concepteurs de solutions IA, où le travailler ensemble pour un avenir serein est indispensable.